Abdéjamil Nourpéissov, « La saison des épreuves »
- dutheilanne
- 11 août 2024
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 nov. 2024

Abdéjamil Nourpéissov, La saison des épreuves, adapté du kazakh par Iouri Kazakov et traduit du russe par Lily Denis, éd. Gallimard NRF, coll. Littératures soviétiques, 1969 ; 314 p. ; ISBN : 978-2070272532.
Réf. AA045 (bon état)
Poids : 346 g.
4e de couverture
D’Abdéjamil Nourpéissov, écrivain de langue kazakh, on connaît déjà Le Crépuscule, ici même publié, qui nous révélait le monde des steppes d’Asie centrale, tel qu’il était encore aux environs de 1915 : réglé par des mœurs strictement tribales, faisant bon marché des vies et du bonheur humain.
Au Crépuscule succède, tant pour la chronologie que pour le destin des hommes, un second roman : La saison des épreuves. L’aliénation la plus sombre nous y apparaît d’abord dans le sort des femmes, entièrement dépendantes d’un père ou d’un mari, et qui doivent se plier à la révoltante promiscuité de la polygamie pratiquée à découvert dans le cercle étroit du nomadisme. Maleur à l’épouse délaissée et à sa descendance ! Elles ne sont plus que bêtes de somme et objets de dérision. C’est ce qui advient de l’attachante et versatile Abkala et de Kenjékeï, épouse prématurément vieillie de Toléou, l’éleveur ruiné.
Le sujet dominant est ici la prise de conscience de l’injustice et les premiers balbutiements de l’esprit révolutionnaire. Nous allons le voir naître chez l’un des héros les plus humbles du Crépuscule, Elamàn, pêcheur pauvre, timide, que ses puissants ennemis des tribus riches ont fait envoyer dans un bataillon de travailleurs sur le front de Turquie. Jamais sûr de lui, pas plus qu’il ne brandira de drapeau, il ne scandera de slogans : simplement, il s’est d’expérience convaincu que la Turquie n’est pas la Terre promise dont les vieillards entretiennent aveuglément le mythe. Si frustes que soient ses pensées, il se refuse désormais à « n’être qu’un ballon dans les mains d’Allah ». D’instinct, il va se joindre aux cheminots de Tchelkhar, la ville de son enfance. Le monde révolutionnaire est sans concessions, à peine né et déjà divisé. Comment choisir entre Mulhausen, partisan de l’action immédiate, et Sélivanov, l’intellectuel plus calculateur, mais plus faible aussi, peut-être ? L’action se déchaîne : c’est un échec, mais d’où Elamàn sort aguerri, moins hésitant. Il ira poursuivre dans son village de pêcheurs sa quête de liberté.
Le grand mérite de La saison des épreuves est de « donner à voir » par les destinées individuelles dont l’intérêt nous maintient en haleine, l’enfantement de l’idée révolutionnaire, et de le faire sans fard. Intelligence ou habileté y apparaissent souvent du côté des féodaux, eux-mêmes affaiblis par leurs zizanies ou des indolences de fin de race, comme chez ce Jassanjàn, le seul intellectuel de l’aoul des riches, jeune homme maladif sur lequel, lisant le Crépuscule, on aurait cru pouvoir fonder quelque espoir. Les absurdités de la vie n’épargnent aucun camp, simplement l’un s’effiloche cependant que l’autre se construit, où sans doute la lucidité manque encore, mais la générosité éclate. La lucidité… autre Terre promise dans le piège de laquelle l’auteur ne semble pas devoir tomber.



Commentaires